Joseph Facal dans La Presse:
Après avoir traité les Québécois de «déconnectés», Michaëlle Jean a voulu se racheter en disant que ce sont tous les Canadiens qui le sont. Quand ça va mal...
Au strict plan constitutionnel, la cause est entendue: la personne qui occupe la fonction de gouverneur général du Canada ne doit jamais, d'aucune façon, participer au débat public. Rester en tout temps parfaitement neutre est en effet l'unique manière pour elle de préserver son pouvoir d'arbitre dans des situations exceptionnelles. Prétendre le contraire, c'est ne rien comprendre au fonctionnement du parlementarisme britannique.
Il est vrai que le poste de gouverneur général, par définition, incarne l'unité canadienne. Mais c'est en participant à des événements protocolaires à titre de symbole vivant qu'il représente le pays. Pendant les référendums de 1980 et de 1995, les prédécesseurs de Mme Jean sont restés au-dessus de la mêlée, même si tous savaient où ils logeaient. Imagine-t-on la reine Élisabeth critiquant l'attitude du peuple britannique ou commentant la politique irakienne de Tony Blair?
Michaëlle Jean trouve donc que les Québécois s'intéressent trop au monde entier au détriment du Canada anglais. Quel drôle de peuple, en effet, ces Québécois, qui trouvent Londres, Tokyo ou New York plus excitantes que Regina, Winnipeg ou Saskatoon! Quels ingrats, ces artistes québécois qui veulent triompher à Las Vegas au lieu de se montrer reconnaissants de l'affection qu'on leur porte à Calgary! Quel déplorable nombrilisme chez ces Québécois qui s'intéressent davantage à la guerre du Liban qu'à la crise de la morue à Terre-Neuve! Je crois pourtant me souvenir d'une époque où l'on reprochait aux Québécois, particulièrement aux souverainistes, de se replier sur eux-mêmes et de rêver secrètement d'ériger une muraille autour du Québec.
Ça va faire!
Comment a-t-on pu nommer à cette fonction une gaffeuse impénitente, qui n'a même pas le mérite de nous faire rire comme Guy Fournier? Quand elle n'était pas occupée à porter des toasts à la liberté des peuples dans les films de son mari, Mme Jean a mené une très honorable carrière d'animatrice à Radio-Canada. Mais il ne serait évidemment pas venu à l'idée d'un premier ministre fédéral de nommer gouverneur général un Charles Tisseyre ou une Marie-Claude Lavallée.
Michaëlle Jean a été nommée moins pour ce qu'elle a fait que pour ce qu'elle est: un exemple d'intégration réussie d'une femme issue d'une minorité ethnique, une incarnation photogénique de l'idéologie multiculturaliste canadienne. Dans les pays sérieux, la fonction honorifique de chef de l'État est plutôt confiée à de vieux sages auréolés de l'autorité morale que confèrent les vies exemplaires.
Michaëlle Jean est la personnification d'un Canada de carte postale qui n'a rien à voir avec le Canada réel. Dans le Canada réel, le Globe and Mail ne ressent pas le besoin de présenter ses excuses pour les éructations racistes de Jan Wong, puisqu'il n'y a vu qu'une autre manifestation de l'émotivité des indigènes de la Belle Province. Dans le Canada réel, l'assimilation des francophones hors Québec est si galopante que des fils ne comprennent plus la langue de leurs pères.
Dans le Canada réel, on reconnaît sans peine la nation acadienne, parce qu'elle ne risque pas de trop remuer, mais pas une nation québécoise qui a déjà la fâcheuse manie de vouloir un peu trop déployer ses ailes. Trois fois depuis 1980, le Canada réel a rejeté la main tendue des Québécois, et on vient leur reprocher aujourd'hui d'être passés à autre chose.
Si Mme Jean se met les pieds dans les plats avec une si belle régularité, c'est sans doute parce qu'une part d'elle-même refuse de n'être qu'un élément décoratif. Mais quand on occupe une fonction purement honorifique pour laquelle tous les Québécois paient, on se comporte en conséquence. Si inaugurer des chrysanthèmes et distribuer des médailles l'ennuient, il fallait y penser avant.